Me Liane Kehat Contrat mariage alya Israel

Contrat de mariage et alya en Israel

Un contrat de mariage prévoyant une séparation de biens, signé en France par un couple de nouveaux immigrants français lors de leur mariage et avant leur aliyah en Israël, est-il valide en Israël ?

Telle est la question posée par le tribunal aux affaires familiales de Jérusalem dans une récente décision.

Le tribunal aux affaires familiales a statué qu’un contrat de mariage conclu entre les époux, en France, avant leur mariage, environ 15 ans avant leur aliyah, et qui n’a pas été homologué par un tribunal en Israël, ne s’applique pas aux biens acquis ou accumulés par les parties en Israël. De plus, le juge a décidé qu’en ce qui concerne les biens acquis et accumulés en Israël, c’est la loi israélienne qui s’applique. Par conséquent, l’épouse a droit à la moitié de l’appartement familial, bien que celui-ci ait été acheté avec les fonds personnels de l’époux et grâce un prêt consenti par le père de ce dernier.

Les parties se sont mariées en 2004, d’abord par un mariage civil en France, puis, environ deux mois plus tard, selon la loi religieuse juive lors d’une visite effectuée en Israël. Avant leur mariage en France, les parties avaient signé un contrat de mariage devant notaire, stipulant que tout montant ou bien pouvant être prouvé comme appartenant à l’une des parties resterait sa propriété exclusive. En 2019, le couple a immigré en Israël et a vécu dans un bien loué. En janvier 2023, l’appartement au centre du litige a été acquis et enregistré au nom des deux parties. Le financement principal provenait d’un prêt familial accordé par la famille de l’époux ainsi que des fonds propres de ce dernier. De plus, un prêt hypothécaire commun avait été contracté. Lors de la séparation, survenue au mois de février 2023, l’époux a emménagé dans l’appartement.

L’épouse a soutenu que le contrat de mariage signé en France n’était pas applicable en Israël, faute d’avoir été homologué par un tribunal israélien. Elle a également affirmé que, par leur comportement, les parties avaient adopté un régime de communauté des biens. Elle appuyait cette affirmation sur plusieurs éléments : la gestion d’un compte bancaire commun, la souscription conjointe d’un prêt hypothécaire et l’enregistrement de l’appartement au nom des deux conjoints. Selon elle, l’inscription du prêt hypothécaire aux noms des deux époux prouvait que son mari avait l’intention de l’associer à la propriété de l’appartement.

L’époux, quant à lui, a soutenu qu’il convenait de respecter l’accord matrimonial de séparation de biens français, affirmant que l’appartement avait été acquis avec ses fonds propres, issus de la vente d’un bien immobilier en France et d’un prêt accordé par son père. Il a également précisé que seules ses propres ressources avaient été déposées sur le compte joint ouvert par les parties, lequel avait servi au remboursement du prêt hypothécaire. Il a, par ailleurs, affirmé que l’enregistrement de l’appartement au nom des deux conjoints avait été réalisé uniquement dans le but d’obtenir le prêt hypothécaire et que, tout au long du mariage, les parties avaient strictement maintenu une séparation totale de leur patrimoine. Selon lui, la loi israélienne sur les relations patrimoniales entre époux renvoie à la législation applicable au lieu de résidence des conjoints au moment de leur mariage, en l’occurrence la loi française.

Le tribunal, pour sa part, a statué que l’accord signé en France ne s’applique pas aux biens acquis en Israël.

Le tribunal s’est appuyé sur la loi israélienne ainsi que sur une jurisprudence antérieure de la Cour suprême dans l’affaire “Nafisi”. Il a conclu que lorsqu’une intention sérieuse d’immigrer en Israël est manifeste, Israël peut être considéré comme le lieu de résidence, même avant l’immigration effective. Toutefois, cette interprétation élargit la portée de l’arrêt Nafisi.

Dans l’affaire Nafisi, il s’agissait d’un couple marié en 1944, en Iran. Le couplé marié 40 ans a, ensuite, décidé d’immigrer en Israël. En 1979, peu après la prise de pouvoir de Khomeini, l’époux s’était rendu en Israël, où il avait acheté un magasin à Tel-Aviv, enregistré à son nom. Ce n’est qu’en 1983 que le couple, accompagné de leurs cinq enfants, a finalement immigré en Israël. Dans l’arrêt Nafisi, la Cour a estimé que le couple devait être considéré comme ayant conclu un accord implicite en vertu des règles de conflit de lois prévues par la loi israélienne sur les relations patrimoniales entre époux.[1] Cet accord implicite impliquait qu’ils avaient adopté le régime matrimonial en vigueur en Israël. De plus, la Cour a présumé que les couples immigrant en Israël souhaitent s’intégrer dans la société israélienne et adhérer au principe d’égalité, qui constitue un fondement essentiel du droit israélien.

Il est important de noter qu’il s’agit, dans ce cas, d’une extension de l’affaire Nafisi. Alors que, dans l’affaire Nafisi, des actions concrètes (comme l’achat d’un bien) étaient nécessaires pour prouver l’intention d’immigrer, ce jugement a établi que le simple fait de venir en Israël pour célébrer un mariage religieux selon la loi religieuse juive, alors même qu’il n’y avait aucun obstacle à le faire à l’étranger, constitue une indication claire de l’intention de tisser un lien avec Israël.

De plus, le tribunal a rejeté l’application de la loi française pour des motifs à la fois procéduraux et substantiels. Il a estimé que l’époux n’avait pas apporté de preuve suffisante concernant le contenu de la loi française, et l’expertise qu’il avait soumise a été écartée en raison de défauts procéduraux, notamment l’absence de référence aux articles spécifiques du Code français sur lesquels elle s’appuyait. Sur le fond, le tribunal a conclu que la loi israélienne devait s’appliquer aux biens situés en Israël. Cette décision s’appuie en partie sur le fait que, en venant en Israël pour célébrer leur mariage religieux, les parties ont implicitement accepté d’assujettir leur régime matrimonial ainsi que les biens qu’elles pourraient acquérir à l’avenir en Israël à la loi israélienne. En outre, elles n’ont pas conclu d’accord matrimonial relatif aux biens situés en Israël, contrairement à ce qu’elles avaient fait pour les biens en France. Enfin, le tribunal a relevé que l’accord français ne contenait aucune disposition concernant le cas où un bien serait acquis conjointement, enregistré au nom des deux parties, ou financé par des ressources mixtes ou un investissement inégal de l’une des parties.

Ce jugement a une portée pratique significative car il établit une distinction claire entre les biens situés en Israël (soumis à la loi israélienne) et ceux situés en France (régis par l’accord). Le tribunal adopte ainsi une approche territoriale, respectant les régimes patrimoniaux du pays d’origine tout en appliquant le droit israélien aux biens acquis sur le territoire israélien.

Recommandations pour les nouveaux immigrants :

  1. Si vous avez immigré en Israël et souhaitez que le régime de séparation des biens continue de s’appliquer en Israël, il est indispensable de faire homologuer l’accord conclu en France auprès du tribunal aux affaires familiales israélien.
  • Une autre option consiste à rédiger un nouvel accord matrimonial conforme à la loi israélienne.
  • Dans le cas où votre conjoint(e) refuse d’homologuer l’accord établi en France ou de signer un nouvel accord matrimonial en Israël, il est essentiel de maintenir une séparation de biens stricte, en respectant les principes suivants :
  • Éviter d’ouvrir un compte bancaire commun ;
  • Ne pas acquérir un bien immobilier au nom des deux conjoints si le financement provient uniquement de l’un d’eux ;
  • Ne pas résider dans un logement acheté par un seul des conjoints ;
  • Ne pas contracter de prêt hypothécaire commun par rapport à un bien acquis via le financement de l’un des conjoints uniquement ;
  • Éviter d’inscrire l’autre conjoint comme coemprunteur sur un prêt hypothécaire relatif à un bien dont le financement provient uniquement de l’un des conjoints.
  • En cas de litige porté devant le tribunal, il est impératif de fournir une expertise détaillée sur le droit français. Celle-ci doit présenter de manière précise la situation juridique en France, en citant les articles de loi pertinents, afin de les soumettre au tribunal israélien.

[1] Article 15 de la loi sur les relations patrimoniales entre époux 5733-1973 :” Les relations patrimoniales entre époux sont régies par la loi de leur lieu de résidence au moment de la célébration du mariage. Cependant, ils peuvent, par le biais d’un accord, établir ou modifier ces relations conformément à la loi de leur lieu de résidence au moment de la conclusion de cet accord.”

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