Il est largement admis que les décisions des tribunaux rabbiniques désavantagent les femmes tout en privilégiant les hommes. Voici donc la preuve que la question est bien plus complexe et non unanime.
Le 19.2.25, la Cour Suprême, siégeant en tant que Haute Cour de Justice, a rendu une décision radicale refusant aux tribunaux rabbiniques leur compétence pour fixer le montant de la pension alimentaire due aux enfants dans le cadre d’une procédure de divorce, à moins que les deux parents n’acceptent expressément de confier cette mission au tribunal rabbinique. À défaut d’accord explicite, la compétence revient au tribunal aux affaires familiales.
La Cour Suprême a accueilli les recours de quatre hommes qui avaient contesté les décisions des tribunaux rabbiniques, lesquels les obligeaient à verser une pension alimentaire à leurs enfants.
Pour l’opinion majoritaire, la jurisprudence SHRAGAY de la Cour Suprême, rendue en 1969, demeure en vigueur et oblige les tribunaux rabbiniques. En conséquence, le tribunal rabbinique n’a pas compétence pour examiner les demandes de pensions alimentaires pour enfants. Ces recours ont été déposés en raison des divergences de décisions entre les tribunaux aux affaires familiales et les tribunaux rabbiniques.
Les représentants des tribunaux rabbiniques et les mères ont affirmé qu’il s’agissait d’une pratique ancestrale, justifiant ainsi la poursuite de la compétence des tribunaux rabbiniques pour statuer sur les pensions alimentaires destinées aux enfants dans le cadre des procédures de divorce.
La position de l’État, telle qu’exposée par la Procureure générale, soutenait que les décisions des tribunaux rabbiniques contredisaient la jurisprudence contraignante établie par la Cour Suprême, laquelle stipule que toute demande de pensions alimentaires pour enfants doit être instruite par le tribunal aux affaires familiales, sauf si les deux parents en conviennent autrement.
Jusqu’en 2017, les pères supportaient significativement davantage la charge financière des enfants après le divorce, même dans les cas où la mère percevait un revenu supérieur.
La même année, la Cour Suprême, composée de sept juges, a adopté la doctrine selon laquelle l’obligation de verser des pensions alimentaires doit être répartie de manière équitable entre les deux parents, en fonction du rapport entre leurs revenus et le temps passé avec les enfants.
Les tribunaux rabbiniques se sont opposés à cette jurisprudence et ont adhéré à une approche patriarcale imposant uniquement aux pères l’obligation de subvenir aux besoins des enfants, indépendamment de la garde partagée ou des revenus de la mère. Ce désaccord a engendré une « course aux compétences » – les mères ayant préféré saisir les tribunaux rabbiniques à ce sujet, tandis que les pères ont opté pour les tribunaux aux affaires familiales.
Dans l’arrêt de la Cour Suprême, la majorité a accueilli les recours et annulé la compétence des tribunaux rabbiniques en matière de pensions alimentaires pour enfants. Le juge minoritaire a soutenu qu’il convenait de permettre aux tribunaux rabbiniques de statuer sur les pensions alimentaires « afin de protéger les mères ». Et ce, car les pensions alimentaires des enfants fixées par les tribunaux rabbiniques sont plus avantageuses pour les mères.
La juge VILNER, qui a rédigé l’opinion majoritaire, souligne que la demande de pensions alimentaires pour enfants constitue un droit autonome de l’enfant, distinct des questions financières entre les parents, et ne peut donc pas être intégrée à la procédure de divorce.
VILNER a rejeté l’argument du tribunal selon lequel les tribunaux rabbiniques seraient compétents pour statuer sur les pensions alimentaires des enfants par le biais d’une demande de restitution. Selon elle, cette demande se limite aux dépenses passées ou aux dépenses concrètes que le parent s’est déjà engagé à couvrir, et ne peut constituer une « voie de contournement » pour une demande autonome de pension alimentaire de l’enfant.
L’arrêt constitue un point tournant significatif dans le conflit entre les compétences des tribunaux rabbiniques et celles des tribunaux civils. Il signifie que les tribunaux rabbiniques ne pourront plus statuer sur les questions de pensions alimentaires pour enfants, même si ces demandes sont liées à des assignations en divorce.
La conséquence directe de ce jugement est que, dorénavant, la « course aux compétences » relative aux demandes de pensions alimentaires pour enfants prend fin. Les parents peuvent être rassurés et il ne sera plus nécessaire de se précipiter pour «saisir la compétence », puisque désormais seul le tribunal aux affaires familiales est compétent pour en juger.
Cependant, si les deux conjoints demandent que le tribunal rabbinique soit compétent, par exemple dans le cas de couples religieux réticent à saisir le tribunal aux affaires familiales, le tribunal rabbinique pourra être compétent pour statuer sur la demande de pensions alimentaires.
À la suite de l’arrêt, il est probable que de nombreux pères saisissent désormais le tribunal aux affaires familiales pour demander l’annulation des obligations imposées par les tribunaux rabbiniques. D’autre part, il se peut que les tribunaux rabbiniques tentent de trouver des moyens juridiques pour contourner ces restrictions, en soutenant qu’il ne s’agit pas de demandes de pensions alimentaires classiques, mais de demandes de remboursement de dépenses.
Quoi qu’il en soit, la Cour Suprême a clairement indiqué que la compétence en la matière revient exclusivement au tribunal aux affaires familiales, et que les décisions des tribunaux rabbiniques excédant cette compétence feront l’objet d’un contrôle par la Cour Suprême et seront annulées.
Article paru dans Israel Magazine