Me Liane Kehat droit des successions testament crémation

Une personne peut-elle ordonner la crémation de son corps après sa mort ?

Dans une affaire récente, une jeune femme d’environ 30 ans a rédigé un testament dans lequel elle demandait que son corps soit incinéré après sa mort. Peu de temps après, elle s’est suicidée hors d’Israël.

Sa famille a souhaité rapatrier le corps pour l’inhumer en Israël.

La Procureure générale s’y est opposée, arguant qu’il fallait respecter la volonté de la défunte exprimée dans son testament et procéder à la crémation. Le Procureur général a également affirmé que le tribunal rabbinique n’était pas compétent pour se prononcer sur des dispositions testamentaires non patrimoniales, le corps d’une personne ne faisant pas partie de sa succession.

Le tribunal rabbinique régional a, pour sa part, jugé qu’il était compétent pour examiner l’ensemble des dispositions du testament, y compris celles dépourvues de caractère patrimonial. Il a en outre estimé que la défunte n’était pas juridiquement apte, en raison de son état mental, au moment de la rédaction du testament, et a, en conséquence, prononcé son annulation.

Un appel a été interjeté devant le Grand tribunal rabbinique.

La défunte a été enterrée hors d’Israël dans l’attente d’une décision définitive.

Il convient de préciser que l’incinération du corps d’un défunt, en tant qu’alternative à l’inhumation, n’est pas régie par la législation en vigueur en Israël. Certes, le judaïsme s’est opposé, au fil des générations, à la crémation des corps, mais il n’existe aucune interdiction à cet égard dans le droit israélien.

Lea Procureur général a fondu ses arguments sur un arrêt de la Cour suprême rendu en 2015, dans lequel une femme transgenre avait mis fin à ses jours. Dans les documents qu’elle avait laissés, elle avait clairement exprimé son souhait que son corps soit incinéré. Dans son testament, elle demandait que la personne qu’elle avait désignée veille à l’exécution de ses volontés, entre autres, par crainte que les membres de sa famille biologique (de confession religieuse) ne s’opposent à la crémation de son corps.

Dans cette affaire, la Cour suprême a estimé que, dans le cadre de la mise en balance entre la volonté du défunt et la position des membres de sa famille, c’est la volonté du défunt qui devait primer. Selon elle, l’obligation de respecter la dignité du défunt – d’où découle la nécessité de respecter sa volonté – trouve ses racines dans le droit constitutionnel de toute personne à la dignité et à l’autonomie personnelle. Cette dimension constitutionnelle confère à cette obligation une supériorité normative sur les intérêts des membres de la famille, et conduit à faire prévaloir la volonté du défunt en cas de conflit.

D’ailleurs, la loi fondamentale sur la dignité de l’homme et sa liberté place la volonté du défunt au centre du débat.

La Cour suprême a statué que chaque cas devait être examiné individuellement, en procédant à une mise en balance entre le devoir de respecter la volonté du défunt, les considérations d’ordre public et le respect de la dignité humaine – le tout à la lumière du droit en vigueur.

En l’absence de disposition légale imposant l’inhumation des corps ou interdisant leur crémation, et dès lors qu’aucune atteinte à l’ordre public n’est constatée, rien ne s’oppose à ce que cette option soit retenue.

Ce principe se dégage également de diverses dispositions législatives, telles que la loi sur l’anatomie et la pathologie, laquelle dispose que, si une personne a consenti à une autopsie après son décès, l’opposition de sa famille est sans effet – et inversement.
De même, la Loi sur l’inhumation civile permet l’enterrement en dehors des règles de la loi religieuse juive, à condition qu’il soit prouvé qu’il s’agissait de la volonté du défunt.

Le principe même du testament – qui permet à une personne de déterminer la répartition de ses biens après son décès – illustre également la prééminence de la volonté du défunt sur les intérêts de ses proches.

La volonté du défunt n’est, toutefois, pas sans limite. Ainsi, la Cour suprême a estimé qu’une demande exprimée par une personne, selon laquelle son corps ne devrait pas être inhumé mais livré aux animaux pour qu’ils s’en nourrissent – au motif qu’il souhaitait ainsi rendre à la nature ce qu’il avait reçu au cours de sa vie – contrevient à l’ordre public et au respect de la dignité humaine.

Dans une autre affaire portée devant le tribunal de district de Haïfa, des membres d’une même famille étaient en désaccord quant à la manière d’inhumer le corps de la défunte. La fille et l’époux de la défunte estimaient qu’il fallait procéder à la crémation, conformément à la volonté qu’elle avait exprimée de son vivant, tandis que la mère et le frère de la défunte demandaient qu’elle soit enterrée selon les rites traditionnels.

En l’espèce, le tribunal a reconnu que la volonté de la défunte d’être incinérée avait été valablement démontrée, rappelant que la preuve de la volonté d’un défunt peut être rapportée par tout moyen, et non exclusivement par testament.

Le tribunal a ordonné que les cendres soient inhumées de manière digne et respectueuse dans un cimetière juif. À défaut, l’inhumation devra avoir lieu dans un cimetière civil approprié. Il a également été établi que la fille de la défunte et son époux avaient priorité dans l’ordre des personnes habilitées à décider du sort du corps.

Dans cette affaire, le tribunal a trouvé une solution équilibrée respectant la volonté de la défunte d’être incinérée, tout en tenant compte du souhait de la famille de pouvoir accomplir les rites de deuil, par l’inhumation des cendres dans un cimetière et la pose d’une stèle commémorative.

Dans une autre affaire, le tribunal de première instance de Tel-Aviv a partiellement fait droit à une action engagée contre une société défenderesse se présentant comme un « funérarium moderne », spécialisée dans l’organisation des derniers rites, à la suite de la commande de services de crémation.
Le tribunal a considéré que la négligence majeure de cette société résidait dans son défaut de vérification de la volonté du défunt et dans son omission de s’assurer qu’aucune opposition à la crémation n’existait.

Le litige portait sur la question suivante : quelle était la véritable volonté du défunt quant à l’organisation de ses funérailles ? Pouvait-on se fonder uniquement sur les déclarations de son fils ? La société défenderesse avait-elle profité de l’état psychologique de ce dernier pour procéder à la crémation, en dépit de la volonté du défunt, et sans en vérifier l’accord, ni auprès de lui de son vivant, ni auprès de sa fille ?

En l’espèce, aucun testament ni document écrit n’avaient été rédigés. Toutefois, il a été établi qu’au moment des faits, le fils du défunt avait informé la société funéraire que son père souhaitait être incinéré.

Le tribunal a estimé que, dans la mesure où le fils avait abusé de sa position en tant que parent le plus proche, et avait agi à l’encontre de la volonté du défunt ainsi que de celle de sa sœur, la responsabilité principale de la crémation lui incombait.

Cependant, la société funéraire n’avait pas pour autant rempli son devoir, car elle n’avait entrepris aucune démarche sérieuse pour vérifier la volonté du défunt ni l’éventuelle existence d’une opposition à l’incinération.

Revenons à l’appel interjeté par la Procureure générale devant le Grand Rabbinat, concernant la jeune femme d’environ trente ans mentionnée au début de cet article.

Le Grand Rabbinat a rejeté l’appel du parquet et lui a adressé de vives critiques, estimant que, même si la défunte avait été reconnue apte à rédiger un testament, aucune disposition de celui-ci n’aurait pu être exécutée. En effet, le parquet n’a manifesté aucune intention de mettre en œuvre, par l’intermédiaire des organes de l’État ou autrement, les volontés de la défunte consistant à faire incinérer son corps, recueillir ses cendres et les rapatrier en Israël, comme elle l’avait expressément demandé.

Dès lors que le parquet ne s’était pas engagé à exécuter ces instructions, et que la famille de la défunte s’y opposait fermement, il était évident que les dispositions testamentaires n’auraient pas été mises en œuvre dans la réalité. Le Grand Rabbinat a donc considéré qu’il n’y avait pas lieu d’engager une procédure judiciaire longue et vaine concernant les modalités des funérailles /au sujet de la nature de l’enterrement.

En conclusion
En Israël, il n’existe pas de réglementation claire concernant une forme alternative d’inhumation telle que la crémation. Toutefois, dans le cadre des droits individuels, une personne peut demander que son corps soit incinéré après son décès.

Cela étant dit, plusieurs conditions préalables doivent être remplies :

1. La volonté du défunt d’être inhumé de cette manière doit être clairement établie. Il n’est pas nécessaire que cette volonté figure dans un testament ; elle peut être exprimée par tout autre moyen.

2. Il doit exister une autorité/ personne prête à faire exécuter cette forme d’inhumation.

3. Dans la hiérarchie des personnes habilitées à demander une inhumation alternative, le conjoint précède les enfants, et les enfants précèdent les parents.

Article publié dans Israel Magazine

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